ABSTRACT SPIRITUALITY
-présidé par Gregg Baker et Virginie Gourin-

Cette exposition rassemble des œuvres qui incarnent la « spiritualité abstraite » de différents lieux et époques. Au fil des siècles, des artistes de nombreuses cultures se sont efforcés d'exprimer des idées transcendantales grâce à leur génie créatif en les exprimant au travers de la matière, reliant ainsi l'humanité à l'esprit. Il n'est donc pas surprenant que beaucoup aient choisi un idiome artistique d'abstraction pour matérialiser ce concept métaphysique de spiritualité. C'est le cas de l'artiste japonaise d'après-guerre Suda Kokuta (1906-1990). Réalisant que l'essence de la philosophie orientale et que le zen n'est pas quelque chose de concret, il a produit des peintures abstraites des années 1950 aux années 70 en tentant d'exprimer cet univers intangible. On peut en dire autant de nombreuses œuvres produites par des artistes d'Afrique, d'Océanie et d'autres régions d'Asie. En les présentant côte à côte, nous espérons transmettre à quel point l'abstraction et la spiritualité sont universelles : les œuvres puissantes et inspirantes présentées ici créent un dialogue qui transcende le temps et l'espace.

Suda Kokuta a produit à la fois de la peinture figurative et abstraite ainsi que des œuvres calligraphiques. Quelle que soit la diversité de ses styles, on peut reconnaître des lignes distinctement puissantes et vigoureuses dans son travail. En effet, il a accordé une attention particulière à « la ligne » dès le début et a souvent évoqué leur importance lors de l'établissement de sa théorie de l'art abstrait. Il considérait les lignes comme une sorte de langage universel et en quelque sorte comme autoportrait de l'artiste. Ce qui l'intriguait surtout c'était les dessins d’enfants. Pour lui, les lignes des enfants sont innocentes et libres de toute règle conventionnelle, qualités que Suda s'est efforcée d'atteindre tout au long de sa carrière et de son processus créatif. 

La texture était un élément important dans le travail de Suda. Ses peintures à l'huile incorporent des empâtements appliqués minces ou épais, utilisant souvent des techniques mixtes; des variations extrêmes de surface sont obtenus par des matériaux non conventionnels, tels que du sable, des cailloux, de la poussière de verre et de la sciure de bois, ou de la toile de jute bourrée de papier journal et cousue pour créer une surface ondulée. Dans son processus créatif, il utilise non seulement des pinceaux pour peindre, mais aussi divers outils, notamment des couteaux à palette, des peignes, des rouleaux et des roseaux, avec lesquels il trace des lignes, gratte la surface et pousse la toile de l'avant et de l'arrière, parvenant ainsi à un effet sculptural. Ses œuvres sur papier ne font pas exception. Superposant plusieurs papiers washi japonais, il applique de la gouache, des pigments minéraux et divers matériaux ; il marque également la surface avec des ustensiles tranchants ou ajoute des empreintes avec divers outils, produisant des creux et des reliefs. Le résultat final peut varier de minéraux texturés rugueux et étincelants à une surface lisse semblable à de la céramique.

Suda est connu pour avoir étudié la philosophie zen avec une grande passion et aurait eu un comportement presque de prêtre. L'artiste considérait son atelier de peinture comme un dojo, mot désignant une salle sacrée où les bouddhistes zen pratiquent la méditation ou une salle d'entraînement aux arts martiaux. L'atelier était son champ de bataille spirituel : avec une concentration intense à la fois mentale et physique, il souhaitait transmettre sa philosophie intérieure sur la toile. Surpassant toujours ses limites, il s'est efforcé de matérialiser une liberté spirituelle dans son travail, les œuvres résultantes étant l'incarnation de sa philosophie, chargée d'un grand pouvoir magnétique.